Le projet de loi du ministre de la Justice Paul Van Tigchelt portant des mesures dans la lutte contre le surendettement a été approuvé par le Parlement en séance plénière. En plus d’un nouvel arrêté royal visant à simplifier et rendre plus transparents les tarifs des huissiers de justice, ce projet met fin aux règles qui contribuent à la spirale négative de l’endettement dont certaines personnes n’arrivent plus à sortir. Pour ce faire, nous avons collaboré avec la Chambre nationale des huissiers de justice. Le principe de base de la loi et de l’arrêté royal est que le recouvrement ne doit pas enfoncer davantage les personnes et les entreprises qui n’arrivent pas à payer leurs dettes. Ces personnes seront désormais orientées vers des services d’aide en matière de dettes. Les mesures incitants les huissiers de justice à entamer des procédures et à effectuer des actions inutiles qui ne font qu’augmenter les frais sont supprimées. Il y aura également un fonds de solidarité pour intervenir dans le coût des actes lors du recouvrement de factures d’électricité, de gaz, d’eau, d’internet, de téléphonie, d’enseignement et de soins médicaux.
Tout personne qui ne paie pas ses factures risque tôt ou tard d’être confrontée à un huissier de justice. Il est normal que les créanciers fassent le nécessaire pour que les factures impayées soient réglées et que la personne ayant contracté des dettes les paie au final. Comme pour le notariat, le statut d’huissier de justice combine les caractéristiques d’une fonction publique d’une part et d’une profession libérale d’autre part. Le fonctionnement de ce secteur est donc réglementé. Les modalités de recouvrement des créances sont fixées par la loi et les tarifs pouvant être appliqués par les huissiers de justice sont fixés par un arrêté royal. Cependant, un rapport de juillet 2023 de l’Observatoire des prix souligne que cette réglementation obsolète entraîne plusieurs dysfonctionnements. Cela peut conduire certains débiteurs à s’enfoncer encore plus dans le surendettement.
Les procédures contribuent à la spirale de l’endettement
L’Observatoire des prix dénonce premièrement les règles juridiques qui régissent le recouvrement judiciaire des créances. Pour cause : aucune distinction n’est faite entre les personnes qui ne veulent pas payer et celles qui ne peuvent pas payer. Or, il est crucial de repérer ces dernières rapidement afin qu’elles ne tombent pas dans une spirale négative d’endettement. Il arrive en effet que les frais d’huissier engagés dans le processus de recouvrement dépassent le montant de la facture initiale.
Aujourd’hui, par exemple, il n’y a pas d’obligation de consulter le fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt (FCA) avant d’entamer une procédure judiciaire de recouvrement de dettes. Cette information est pourtant importante pour vérifier la solvabilité du débiteur et éviter ainsi des procédures inutiles qui ne font qu’augmenter les frais d’huissier et les frais de justice.
Ainsi, il peut arriver qu’un huissier fasse l’inventaire des biens pour une facture impayée et que, peu de temps après, un autre huissier fasse exactement la même chose, pour une autre facture impayée, avec tous les frais d’huissier supplémentaires que cela implique.
En outre, les débiteurs ignorent souvent les options dont ils disposent pour résoudre leurs problèmes financiers. Ces options ne sont pas toujours communiquées de manière cohérente ou claire.
Le droit de quittance contribue à la spirale de l’endettement. Ce système implique que le débiteur doit payer un coût supplémentaire à l’huissier pour chaque versement individuel effectué dans le cadre d’un plan de paiement. Le remboursement des dettes ne devrait pas en créer d’autres, mais c’est pourtant souvent le cas. En outre, les huissiers sont souvent incités par le créancier à vendre des biens saisis alors qu’il est évident que cela ne rapportera pas suffisamment d’argent pour couvrir ne serait-ce que le coût de la vente.
L’Observatoire des prix dénonce également les problèmes causés par la pratique illégale du « no cure, no pay ». En effet, les frais d’huissier non payés pour cause d’insolvabilité du débiteur sont à la charge du créancier. Cependant, certaines études d’huissiers de justice continuent à convenir avec le créancier d’un petit montant forfaitaire par dossier si aucun résultat n’est obtenu. Ceci a pour effet que certains huissiers de justice cherchent à compenser les pertes subies auprès des débiteurs qui sont bel et bien solvables en accumulant les interventions et les actes dans le but de faire grimper les frais.
Tarifs non actualisés
Bien que l’Observatoire des prix souligne que le secteur des huissiers de justice est le moins rentable au sein de la Justice et que la tarification est conforme au marché, les tarifs légaux que les huissiers de justice sont autorisés à facturer sont fortement dépassés. L’arrêté royal fixant les tarifs n’a pas été modifié depuis 1976, mis à part l’indexation. La numérisation, par exemple, n’est pas du tout prise en compte. Chaque recherche dans le FCA est actuellement toujours facturée 16,11 euros, alors que cette base de données est numérisée depuis longtemps et qu’il n’est plus nécessaire de se rendre physiquement au greffe pour effectuer cette recherche. En outre, l’arrêté royal de 1976 est vague et sujet à interprétation sur un certain nombre de points. À l’heure actuelle, les actes des huissiers sont répartis en dix classes différentes et le coût d’un acte augmente proportionnellement en fonction du montant de la dette. Par conséquent, le fait qu’il existe dix types de tarifs différents ne permet pas aux débiteurs de contrôler facilement leur facture.
Autre problème : les frais supplémentaires qui ne sont pas stipulés dans l’arrêté royal de 1976. Ces prix sont fixés par la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHB) mais ne sont pas accessibles au débiteur. De plus, certains huissiers facturent des frais supplémentaires pour certaines choses qui ne peuvent pas être contrôlées. Le Collège des procureurs généraux a soulevé cette question en juin 2023. Tout cela fait que la tarification est non seulement obsolète, mais aussi peu transparente. Il est très difficile pour les débiteurs de vérifier si les frais facturés sont bien corrects.
Abus commis par un petit groupe d’huissiers
L’Observatoire des prix dénonce également un certain nombre d’abus dans son rapport. Par exemple, un petit groupe d’huissiers facture à plusieurs reprises l’intervention unique d’un serrurier lorsque plusieurs saisies mobilières sont effectuées à l’encontre d’un même débiteur.
Si une personne ne respecte pas strictement un plan de paiement par oubli, par exemple, certains huissiers relancent immédiatement la procédure judiciaire. Cela entraîne directement des frais d’huissier supplémentaires de 150 euros, alors qu’un simple rappel téléphonique aurait suffi.
Vers un recouvrement éthique des créances : nouvelle loi et nouvel arrêté royal
L’Observatoire des prix conclut donc dans son rapport qu’il est urgent d’améliorer la transparence, de fixer des prix corrects et de simplifier certaines procédures. C’est ce que vise le ministre de la Justice Paul Van Tigchelt avec cette nouvelle loi approuvée par le Parlement et le nouvel arrêté royal sur les tarifs. Grâce à une collaboration avec la Chambre nationale des huissiers de justice, cela a été rendu possible. Pour le ministre Paul Van Tigchelt, il est clair que les dettes doivent être remboursées mais sans que les procédures de recouvrement n’entraînent les débiteurs dans une spirale d’endettement négative. Voici un résumé des principaux changements :
- Examen de solvabilité obligatoire
L’examen de solvabilité est obligatoire avant même l’ouverture d’une procédure judiciaire et avant toute signification d’acte. Cet examen permet de vérifier si une personne est en mesure de payer ses dettes. Ceci est important pour faire la distinction entre les personnes qui ne veulent pas payer et celles qui sont incapables de le faire. L’examen de solvabilité doit se faire par le biais de la consultation du FCA, dont les données seront étendues. Cette mesure réduit considérablement les coûts pour les personnes qui bénéficient déjà d’une médiation de dettes, étant donné qu’aucune nouvelle procédure ou mesure d’exécution ne peut être entamée. Dans ce cas, l’huissier doit écrire au médiateur de dettes pour que la dette soit incluse dans un plan de paiement. Il s’agit d’un premier pas important pour briser la spirale de l’endettement.
En ce qui concerne les entreprises en difficulté, davantage de données relatives à la faillite, à la réorganisation judicaire et au transfert sous autorité judiciaire seront incluses dans le FCA. En consultant ces avis, les huissiers pourront mieux évaluer la solvabilité du débiteur-entrepreneur et, par exemple, contacter le curateur par écrit.
- Proposer en premier lieu un plan de paiement
Les huissiers de justice devront également toujours indiquer la possibilité d’une médiation, d’une conciliation et de toute autre forme de solution à l’amiable telle qu’un plan de paiement. Raison pour laquelle toute assignation en recouvrement d’une somme d’argent devra obligatoirement comporter des informations sur les alternatives possibles telles que la demande de délais de paiement, l’ouverture d’un règlement collectif de dettes ou l’aide du CPAS. Ces informations doivent être rédigées dans un langage clair et compréhensible.
Les débiteurs sont ainsi mieux informés des démarches qu’ils peuvent encore entreprendre pour résoudre le problème. Désormais, tout huissier de justice ou candidat huissier de justice devra également suivre une formation sur la communication avec les débiteurs pour proposer des solutions à l’amiable.
- Des tarifs simples, transparents et réels
Les tarifs que les huissiers sont autorisés à pratiquer ont été simplifiés, rendus plus transparents et adaptés à la charge de travail réelle. Le nombre de classes avec plusieurs tarifs différents pour les actes est réduit de 10 à trois : des tarifs distincts pour les factures de 0 à 2.000 euros, pour les factures de 2.000 à 5.000 euros et pour les factures supérieures à 5.000 euros. Cette mesure facilite grandement le contrôle de l’exactitude des frais d’huissier. Les créances concernant l’électricité, le gaz, l’eau, l’internet, la téléphonie, l’enseignement et les soins médicaux relèveront toujours du tarif le plus bas.
Afin d’éviter que des opérations répétitives, telles que les recherches dans les banques de données ou les demandes d’extraction de données auprès des services publics, n’entraînent une augmentation des frais, un coût fixe de 50 euros est instauré pour les frais de dossiers. Il remplace les frais distincts pour l’ouverture d’un dossier, d’enquête de solvabilité, et les recherches dans le FCA, le Registre national et la Banque-Carrefour des Entreprises.
Pour assurer le suivi d’un plan de paiement, un honoraire annuel fixe de 25 euros est prévu. Si, en raison d’un oubli ou d’un problème temporaire, une personne n’a pas respecté ou ne peut pas respecter le délai de paiement prévu, l’huissier de justice est désormais tenu d’envoyer un rappel au lieu de signifier immédiatement un nouvel acte qui entraîne des frais. Le système de coûts fixes pour les frais de dossier facilitera en outre le contrôle du respect de l’arrêté tarifaire.
Le système des droits d’acompte, où les frais d’huissier sont facturés par tranche, disparaît également. Dorénavant, l’on ne pourra facturer qu’une seule fois des honoraires de recouvrement, calculés en pourcentage de manière dégressive par tranche. Ainsi, le débiteur qui effectue de nombreux petits remboursements ne sera plus pénalisé. En outre, les honoraires de recouvrement ne peuvent dépasser 100 euros si les factures concernent la téléphonie, les services d’utilité publique, l’éducation et les soins de santé.
Le principe de « no cure no pay » est explicitement interdit. L’arrêté royal prévoit sans équivoque qu’il ne peut être dérogé aux tarifs établis et qu’il n’est pas permis de renoncer partiellement ou totalement aux frais, honoraires ou dépenses pour le client.
- Fonds de solidarité
Un fonds de solidarité sera créé au sein de la Chambre nationale des huissiers de justice. Grâce à ce fonds, le coût de certains types d’actes sera réduit pour les demandes de paiement de factures d’électricité, de gaz, d’eau, d’internet, de téléphonie, d’éducation et de médecine. Tout comme pour l’application du tarif le moins élevé, le raisonnement sous-jacent est qu’il s’agit de besoins essentiels pour chaque citoyen. Le fonds de solidarité sera alimenté par tous les huissiers de justice lorsqu’ils déposeront un acte. A chaque acte, un pourcentage des rentrées provenant de l’acte devra être versé au fonds. Le fonds de solidarité paiera également le dépôt de l’avis de médiation de dettes à l’amiable auprès du FCA.
- La saisie rendue commune devient obligatoire
Le recours à la saisie rendue commune devient obligatoire. Autrement dit, si un huissier de justice a déjà dressé un inventaire des biens et a procédé à une saisie mobilière, l’huissier de justice suivant doit se baser sur l’inventaire du premier huissier de justice ayant effectué la saisie. De cette manière, il n’est pas possible de facturer à chaque fois des frais pour des saisies mobilières successives effectuées par plusieurs huissiers de justice. Il ne sera plus possible non plus de facturer plusieurs fois les mêmes frais parce que le même débiteur est concerné par plusieurs dossiers de recouvrement, comme en cas de recours à un serrurier.
Désormais, lorsque le produit de la vente ne suffira manifestement pas à couvrir les frais de l’huissier, l’huissier de justice pourra refuser de vendre les biens saisis même si le créancier le demande. En effet, cela ne sert à rien et ne fait qu’augmenter les frais.
- Accès au PCC
Les huissiers de justice auront accès, via la Chambre nationale des huissiers de justice, aux données du PCC, à savoir le point de contact central des comptes et contrats financiers de la Banque nationale, lorsqu’il existe déjà un jugement ordonnant au débiteur de payer. En effet, jusqu’à présent, il fallait repasser devant le tribunal après un jugement pour demander les coordonnées bancaires du débiteur, ce qui générait des frais supplémentaires. Par conséquent, la demande et la communication d’informations sur les comptes peuvent désormais se faire par l’intermédiaire de la Chambre nationale des huissiers de justice, qui contrôlera également si les conditions légales sont remplies pour demander ces informations.
- Conseil national de discipline
Maintenant que les nouvelles règles sont en place, le nouveau conseil de discipline indépendant peut commencer à s’en occuper. Le conseil de discipline, établi à Bruxelles, comprend une chambre francophone et une chambre néerlandophone, et chacune est composée d’un magistrat et de deux assesseurs. Cet organe disciplinaire doit veiller au respect des règles déontologiques et a le pouvoir d’infliger des sanctions disciplinaires de tout ordre, telles que la suspension ou la destitution. Ce conseil de discipline avait déjà été instauré par la loi sur la réforme du notariat.
La nouvelle loi entrera en vigueur trois mois après sa publication au Moniteur belge. Pour les dispositions nécessitant des développements ou ajustements techniques, un délai d’un an est prévu. L’AR fixant les tarifs entrera en vigueur le 1er octobre 2024.
Elément d’une approche plus large
La loi et l’AR s’inscrivent dans le cadre d’une vaste réforme sur le recouvrement éthique des créances. Précédemment, les seuils de saisie avaient déjà été ajustés. Il s’agit des montants qui ne peuvent pas être saisis. Cette réforme faisait partie de la loi thématique sur le droit civil et le droit judiciaire du ministre Van Tigchelt, que le parlement fédéral a approuvée le 14 décembre 2023.
Début novembre 2023, le règlement collectif des dettes a été numérisé au moment où l’application JustRestart a été mise en ligne sur Just-on-web. Depuis, les débiteurs ont la possibilité de demander un règlement collectif de dettes et d’en assurer le suivi par voie numérique. En effet, ils ne doivent plus se rendre physiquement au tribunal du travail pour consulter leur dossier et ne dépendent plus entièrement de leur médiateur de dettes pour obtenir des informations.Paul Van Tigchelt, ministre de la Justice : « Le point de départ est évidemment que tout le monde doit payer ses factures. Mais le but n’est pas que les procédures plongent les citoyens dans une spirale d’endettement. Cela ne profite à personne. Pour éviter cela, nous avons pris des mesures légales et adapté l’arrêté royal fixant les tarifs. Il y aura une distinction entre les personnes qui ne veulent pas payer et celles qui ne peuvent pas payer. L’accent sera désormais mis sur les plans de paiement et les solutions à l’amiable. Les mesures incitant à faire grimper artificiellement les frais sont supprimées. Nous avons veillé à ce que les tarifs soient équitables et transparents. Et un fonds de solidarité est prévu pour intervenir dans les coûts supplémentaires, notamment sur les factures d’énergie et d’école. Ainsi, le secteur contribuera au financement. »